Le portrait journalistique et autres petites histoires


Ecrire le portrait de quelqu’un n’est pas chose aisée. C’est un exercice de style mais également d’investigation; passage obligé et passionnant de l’apprentissage de journaliste. Et, comme tout apprenti-journaliste, je suis passée par là. Récit de cette aventure

L’art difficile du portrait

Comme nous l’explique le «Manuel de journalisme» écrit par Yves Agnès «Faire le portrait d’un personnage c’est, à la manière d’un peintre, le faire vivre (par des mots) pour les lecteurs, le raconter comme on retrace un événement».

Le journaliste se doit de mener une investigation de longue haleine pour réussir à ne pas tomber dans le «déjà dit» à propos du héros de l’article. Il s’agit de trouver LA question qui permettra de découvrir un aspect particulier et inconnu d’une personne ; une idée singulière ; un épisode de sa vie croustillante, drôle, émotive.

Bref, il s’agit de cerner le personnage en l’espace des quelques minutes d’interview qu’il vous concède.

Le temps est précieux et les minutes tournent trop vite dans ces moments-là.

Quelques idées…

L’Association des journalistes indépendants du Québec décerne le prix, chaque année, du meilleur portrait journalistique réalisé. Je vous laisse découvrir ce qu’ils entendent par “meilleur portrait”, pour l’année 2009:

Donc, “dans une langue vivante, le récit est bien structuré, bien articulé. On sent la personne vivre dans ce récit qu’on lit comme si on y était” explique le présentateur avec son accent savoureux.

De nombreux sites traitent le sujet: celui-ci par exemple (mais payant), celui-là qui traite des “procédés référentiels”, ici on donne tous les genres de portraits, etc.

Mais aucun n’explique comment gérer le stress qui peut, tout à coup, vous envahir quelques instants avant la rencontre qui changera votre manière de voir le monde.

Le stress

http://www.sitemed.fr/rythmes/rythme_10.htm

Voici comment s’est déroulée mon interview avec Eric Sottas, un homme qui a passé sa vie à se battre contre l’injustice et plus précisément contre la torture. Il a passé 25 ans à la tête de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT).

Mon histoire

Lorsque je suis allée, moi journaliste encore au berceau, même pas encore fraîchement émoulue d’une école de journalisme (l’AJM pour les intimes, Académie de Journalisme et des médias pour les autres), interviewer Eric Sottas, je savais très bien que j’allais à la rencontre d’une sommité.

J’avais compilé toutes les infos possibles et imaginables que l’on peut trouver à son propos sur Google, Bing, Yahoo, etc… J’étais prête.

J’avais mes 40 questions, surlignées en couleur (jaune pour la vie professionnelle, vert pour l’école, etc.).

J’ai contrôlé 50 fois mon enregistreur pour être sûre que mes piles ne tomberaient pas en panne… J’avais repéré tout le quartier où allait avoir lieu mon rendez-vous pour être certaine d’être à la bonne place (on ne sait jamais, tout peut arriver en une journée… Genève aurait pu se retrouver à Madrid que, pour moi, cela aurait été possible).

Ne voulant surtout pas être en retard, je suis arrivée alors qu’il n’y avait encore personne dans les bureaux. Quelqu’un m’a finalement fait entrer et m’a priée de patienter quelques instants. Je m’assied, d’un air assuré – quelle menteuse ! – sur les sièges mis à disposition des visiteurs et commence à lire les prospectus mis à disposition. Je n’ai pas pu me concentrer pour comprendre une seule malheureuse voyelle qui traînait seule entourée de consonnes.

Avant de me recevoir dans son bureau, M. Sottas s’est excusé de son léger retard.

Je tente de ne pas montrer mon stress, de respirer normalement. Très vite, il me met à l’aise et ma panique intérieure fait place aux questions, surlignées, qui sont couchées sur mes feuilles.

L’enregistreur est branché, tout semble fonctionner.

La première question

C’est parti pour la première question :

« M. Sottas, est-ce que vous pourriez m’expliquer, avec vos mots, quel a été votre parcours avant de fonder l’OMCT ? »

J’avais 40 questions. J’en ai posé trois.

Il m’a expliqué le monde, ses luttes, ses joies, ses doutes. J’ai passé près de trois heures dans son bureau à l’écouter, tel un enfant qui écoute un conte, me décrire les évolutions du monde; m’expliquer son parcours, exceptionnel, qui l’a amené à être secrétaire général de l’OMCT durant 25 ans.

Je suis ressortie, la main endolorie d’avoir trop écrit, la tête pleine de pays et d’idéaux réalisables.

Mais je n’avais aucune, mais alors aucune idée de comment résumer un tel personnage, qui porte le monde en lui, en 4’500 signes. Et là, j’ai sérieusement commencé à vraiment paniquer.

En bref

L’art du portrait est singulier et souvent extrêmement difficile – comme je le disais tout à l’heure. Le fait de devoir réduire à si peu de phrases la vie complexe d’un être humain est une tâche qui peut vexer, plaire, ou – pire – laisser indifférent le protagoniste principal.

Si vous avez vécu un cas semblable, ou alors que vous avez déjà eu l’occasion d’avoir votre portrait écrit et publié, racontez-nous votre histoire (leave a comment, comme on dit).

Si vous ne faites pas partie de ces deux premières catégories mais que vous avez des idées, ou des questions qui vous semblent primordiales à poser pour l’écriture d’un portrait, laissez un mot, on vous écoute !

Et si vous voulez lire ce que j’ai écris de la vie de M. Eric Sottas, je vous en prie, c’est par là =>  ! Merci

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  1. #1 by katyromy on December 8, 2011 - 13:29

    Hé bien, je trouve une que tu as très bien réussi à résumer un personnage, dont l’action et les convictions forcent le respect. J’aime beaucoup le petit schéma sur le stress 😉 Good job (comme d’habitude)!

  2. #2 by mzellepika on December 11, 2011 - 19:04

    J’ai beaucoup aimé cet article, très personnel, merveilleusement bien écrit et rempli d’humour. Merci pour toutes ces explications sur le portrait journalistique, une forme journalistique dont j’ignorais totalement les tenants et les aboutissants.

  3. #3 by dolinecha on December 12, 2011 - 05:45

    Merci infiniment pour ces commentaires.
    Est-ce que, de votre côté, vous avez déjà eu la chance de pouvoir réaliser un portrait journalistique? Quel a été votre plus grande difficulté?

    Meilleures salutations,

    Doline

  4. #4 by katyromy on December 12, 2011 - 10:05

    Le portrait est un genre journalistique que je trouve passionnant. J’avais réalisé le portrait de Dick Marty. L’enjeu et la difficulté sont à mon avis de poser LA ou les question/s qui permettra/ont de découvrir le ressort psychologique du personnage. Dans le cas de Dick Marty, il fallait aussi essayer d’écrire quelque chose de différent des nombreux articles qui ont déjà été écrits. Pour la petite anecdote, j’étais tellement impressionée de me trouver dans la galerie des Alpes du Palais fédéral que je suis repartie, sans l’avoir pris en photo. Pourtant, j’avais noté PHOTO en rouge sur ma feuille de question pour ne pas oublier.

  5. #5 by chude on December 12, 2011 - 12:17

    Tu décris bien le stress engendré par l’écriture d’un portrait, avec ton humour habituel, ça fait plaisir 🙂 Moi j’ai dû faire le portrait de Cédric Sapey, porte-parole du Conseil des Droits de l’Homme. J’avais trop le trac d’avoir l’air pas pro, d’oublier de poser une question capitale ou de pas trouver un angle original. Quand il m’a reçu je me suis rendue compte qu’il avait que trente ans et qu’il était super sympa. C’était comme une discussion informelle sauf que je prenais des notes 😛 Et tout m’est venu tout seul : l’angle, les questions à poser, l’attitude à avoir… Bref, pour réussir un portrait, il faut se renseigner, bien se préparer, avoir la capacité de condenser une vie en quelques milliers de signes, mais aussi être capable de s’adapter et d’improviser car dans toute interview il y a une part d’imprévisible et d’incontrôlable…

  6. #6 by matthieuhenguely on December 13, 2011 - 10:32

    C’est bien résumé. Le but, c’est vraiment de passer un moment sympa, discuter, pour comprendre l’autre. Un schéma question-réponse ne permet pas de dresser un portrait.
    Le meilleur portrait que j’avais fait, c’était après avoir passé une matinée avec le gars, d’avoir bu un verre sur une terrasse. Et de discuter. ça implique personnelement, mais le résultat est tellement meilleur!

  7. #7 by angel on December 13, 2011 - 10:39

    En effet, pas facile de faire un portrait!dans nos cours, on nous disait d’essayer de “dénicher” le moteur de la personnes, ce qui la fait se lever le matin!mais on a toujours envie d’en dire plus, difficile de choisir parfois dans la masse d’informations qu’on a récoltée.

  8. #8 by dandresg on December 13, 2011 - 10:42

    Personnellement, ce que je trouve le plus difficile dans cet exercice, c’est établir une relation de confiance entre le journaliste et la personne qui raconte sa vie. Le premier est toujours à l’écoute et doit en même temps rebondir tout en prenant en note les anecdotes, les histoires, les luttes. Le travail est difficile si l’on veut le faire avec soin en tenant son interlocuteur en haleine. Alors que la personne en face raconte ce qu’elle connaît le mieux (sa vie!) tout en ne sachant rien de celle du journaliste auquel elle la confie.

  9. #9 by Kalina on December 14, 2011 - 21:31

    La prochaine fois tu sauras que partir à la rencontre d’une sommité avec 40 questions –> Non. 4 ça suffit 😉 Donc c’est des hormones qui créent le stress, mais lesquels?

  10. #10 by Drey on December 15, 2011 - 10:01

    Un portrait est un article qui doit dévoiler la personne avec de simples mots…on doit pouvoir ressentir son caractère et sa personnalité, pouvoir imaginer cette personne. Je pense que le plus compliqué est de capter toutes ces informations, signes et distinctions dans un laps si court de temps. Une interview et c’est tout. Quelques minutes pour entrer dans l’intimité de la personne qui doit se sentir à l’aise et se confier sans retenue (ou presque). Très bon article!

  11. #11 by mathildejarry on December 15, 2011 - 10:39

    J’aime beaucoup réaliser des portraits. C’est une grande responsabilité de décrire une personne sans la caricaturer. Mais écouter une personne (qui a évidemment un minimum de choses intéressantes à dire, on s’entend…) se raconter est tellement enrichissant que le stress laisse très vite place à la curiosité.

  12. #12 by Isidor on December 15, 2011 - 10:45

    Alors bravo mademoiselle. Très beau travail. Et pour la suite vous ne faites “que” du journalisme. Vous n’avez pas entre vos mains la vie des gens. Alors le stress ….
    Courage avec les années ne reste que le “bon stress” celui qui fait avancer

  13. #13 by albertlevert on December 15, 2011 - 10:49

    Peut-être faut-il, pour “résumer” un tel personnage se contenter de n’éclairer qu’une partie. Celle qui est primordiale pour vous, votre sujet. Mais dans ce cas précis c’est difficile tant le personnage est riche. Si riche

  14. #14 by poilalamain on December 15, 2011 - 10:53

    Bon, toute personne est riche. A un passé, un vécu.
    Qui peut, ou pas, être passionnant selon notre sensibilité propre, selon notre devoir professionnel.

  15. #15 by fadièse on December 15, 2011 - 10:54

    un jour je tuerai tous les cons. Par politesse je commencerai par moi

  16. #16 by julianol on December 15, 2011 - 18:15

    Excellent ! 😀 bien résumé ! ça me rappelle pas mal de souvenirs 🙂 J’ai du faire le portrait de l’ambassadrice adjointe de la mission de Monaco à l’ONU. Mon accueil a été très solennel, toute la mission était là pour me serrer la main tour à tour. J’ai dû poliment faire sortir tout le monde de la salle excepté elle en expliquant que je n’allais pas tous les interviewer. Alors le stress, je m’en souviens un peu. Surtout d’orienter la conversation sur des questions extra personnelles avec une femme qui a autant de classe et qui ne parle que de travail.

  17. #17 by dolinecha on December 16, 2011 - 08:03

    Merci pour tous ces commentaires et ces encouragements.

    Effectivement, le fait de devoir couper dans les infos et de ne garder que les plus intéressantes se révèle très vite un exercice de haute-voltige. Trop tendance à vouloir tout dire, tout expliquer pour que les lecteurs comprennent véritablement qui je leur présente. Mais c’est impossible, alors on commence à prendre des ciseaux, à couper, à recadrer, à retrancher une personne passionnante derrière quelques minuscules caractères (qui ont du sens, mais tellement pas assez semble-t-il…).

    Dans tous les cas, ce métier est enrichissant et quand on y repense, le stress, ça fait bien rire par la suite!

    Dolinecha

  18. #18 by orianne on December 16, 2011 - 08:57

    Pour moi qui ne suis pas dans le métier, je trouve très marrant d’avoir un aperçu du travail qui se trouve derrière l’article que le lecteur finit par lire. Je suis consciente que la tâche est très difficile et qu’il est compliqué de résumer un personnage pour les lecteurs qui ne le connaissent pas forcément mais je trouve parfois difficile de trouver des portraits originaux avec des questions inattendues et pourtant ça fait un bien incroyable pour nous autres lecteurs de se retrouver devant un portrait inhabituel. peut-être que les journalistes devraient parfois se demander si une info est meilleure si elle résume bien la vie de qqn ou si elle est encore mieux quand elle apporte une vision qui surprend le lecteur…

  19. #19 by Molly Ranukete on December 18, 2011 - 13:39

    Mais presque tous les essais des statines pràsentent les mêmes dàfauts ràdhibitoires.

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